Naissance d'un nouvel esprit

Je crois qu'avant de voir naître quoi que ce soit, un nouvel esprit apparaît. Il est souvent dans l'air comme on dit communément. Or voilà qu'un précurseur doit inventer un média pour le mettre en œuvre, de façon concrète. Cela se passe donc sur le plan psychologique avant de laisser ses empreintes sur la matière. Au cours des années soixante du siècle dernier, j'ai cru qu'il fallait œuvrer à sculpter les pensées, étant convaincu alors que l'esprit était l'élément premier qui maîtrise non seulement la matière, mais également le temps et l'espace de l'existence des humains. Oeuvrer sur la place publique ⎯ c'est-à-dire dans divers quartiers de Montréal ⎯ par des gestes et des actions symboliques, signifiait donc pour moi, sculpter les consciences. Cela, afin de parvenir, avec l'apport de la collectivité, à l'émergence d'une intelligence universelle partagée. Ainsi, une sorte de nouvelle mentalité active et de nature urbaine devait voir le jour.

Lorsque l'art de l'environnement était en processus, j'avais le pressentiment que quelque chose de fondateur était en train d'arriver. Cette mouvance fait dorénavant partie des origines des plateformes virtuelles que sont les médias sociaux actuels. Elle a débuté par un désir de créer un nouveau média de communication, dans le monde impersonnel et aliénant de consommation de masse de l'époque. Je crois qu'avec le concours des actants qui se sont métamorphosés en coauteurs du drame humain colossal que fut Ahuntcirque par exemple, nous sommes parvenus à un véritable art citoyen qui a transformé la démocratie. Je crois, en plus, que ce franchissement pourrait s'avérer aussi important, dans le futur de l'histoire de l'humanité, que celui qui, à la Renaissance, vit les « arts libéraux » succéder aux « arts mécaniques ». Cette révolution s'est manifestée au cours de la postmodernité, lorsque l'artiste s'est transmué en citoyen du monde et a inséré des amateurs ou des non-artistes dans son oeuvre. Ainsi, le créateur en arts visuels n'a plus uniquement œuvré pour la classe dirigeante, mais il s'est mis au service du peuple tout entier.