Engagement sociopolitique de Maurice Demers lors
de ce deuxième grand envol de notre modernité

Engagement sociopolitique de Maurice Demers lors
de ce deuxième grand envol de notre modernité© Photo : Jean-Yves Collette, Le Soleil, 14 avril 1973
Armand Vaillancourt vice-président, Guy Montpetit président et Maurice Demers vice-président du comité provisoire, chargé de mener à terme l'organisation des États généraux des arts.

Au cours des années 1960-1970

Nous sommes à une époque charnière de notre histoire. Une période sans précédent.

Des artistes d'ici ont été parmi les quelques créateurs qui, il y a près d'un demi-siècle, ont oeuvré à édifier les bases de la culture contemporaine.

Or voilà que les dirigeants du marché, ces personnes aveuglées par la brillance de l'argent, ont depuis ce temps spolié les données.

Le développement de la vie culturelle acquiert une importance capitale

  • C'est l'ère de la fondation des grandes institutions gouvernementales et paragouvernementales;
  • d'un vaste encouragement à la production artistique;
  • d'une très bonne diffusion de l'art par les médias de masse;
  • d'une orientation vers une culture anthropocentrique;
  • d'une tentative de renouvellement de la société par l'art.

Les institutions naissantes

  • Parmi les plus importantes :
  • 1957, Conseil des arts du Canada;
  • 1960, Première charte locale d'une société d'artistes en arts visuels ;
  • 1961, Association des sculpteurs du Québec (ASQ);
  • 1961, Ministère des Affaires culturelles du Québec;
  • 1961, Place des arts de Montréal;
  • 1964, Musée d'art contemporain de Montréal;
  • 1966, Société des artistes professionnels du Québec (SAPQ);
  • 1967, Expo67;
  • 1968, Opération déclic (7 au 11 novembre);
  • 1969, Commission d'enquête sur l'enseignement des arts (Rapport Rioux);
  • 1973, Conférence canadienne des arts (février, avril);
  • 1973, États généraux de la culture (15-16-17 juin);
  • 1991, Commission parlementaire sur la culture;
  • 1992, Lancement de la politique culturelle du Québec.

Le contexte de cette ère nouvelle, à l'échelle locale et internationale :

  • c'est l'ère de notre révolution tranquille;
  • de la naissance de l'art contemporain (années 1960 selon l'enquête mondiale de la revue Artpress);
  • de l'arrivée de la postmodernité (autre phase de la modernité émergeant au cours des années 1960, elle se caractérise par l'ouverture, les métissages et les nouveaux liens);
  • dans le monde artistique au Canada, c'est au Québec qu'on a assisté à l'émergence de la modernité et de la postmodernité. (Cette dernière est survenue en simultanéité avec l'agir de certains visionnaires des grandes capitales du monde de l'art);
  • nous assistons à l'apparition de l'ère spatiale (et de ses nouvelles technologies (sculptures cybernétiques et autres) années 1950 et 1960);
  • à l'origine des cybermondes (la cybernétique, l'interaction, le feedback, la participation, la création, voire la cocréation de citoyens);
  • C'est l'heure du deuxième grand envol de la modernité (à partir de 1968 en particulier, cela après celui des mouvements automatistes des années 1940-1950).

Quelques unes des grandes réalisations de cette période de notre histoire :

  • En cette grande époque, en arts visuels il fallait faire plus que de la peinture et de la sculpture, c'est-à-dire :
  • oeuvrer à l'émancipation totale de l'artiste;
  • créer des associations inter et multidisciplinaires;
  • forger notre culture;
  • Créer une politique d'art public;
  • s'engager vivement sur le plan social et politique;
  • organiser des événements majeurs;
  • réaliser des happenings et des environnements;
  • fondre l'art avec les plus hautes technologies;
  • lier la pratique artistique à la vie;
  • instaurer des institutions culturelles contemporaines;
  • faire participer la population à l'oeuvre d'art (instituer une démocratie participative);
  • oeuvrer à l'accomplissement de notre identité et de notre autonomie (le Québécois naît, notre autonomie se réalise sur le plan psychologique);
  • Tout cela en ce temps d'une grande puissance d'expansion et d'accélération de l'histoire.

L'opération déclic

En 1968, le comité d'organisation planifie une marche-parade. Fermeture éclair du Musée d'art contemporain et de la Bibliothèque nationale (BN). Érection d'une sculpture symbolique devant chacun de ces édifices.

Les principaux enjeux, selon certains documents de l'époque :

  • redéfinir l'état de l'activité créatrice;
  • mettre en question le rôle des institutions socioculturelles (ministères, musées, écoles d'art, médias d'information...;
  • s'interroger sur le couple art-société, afin de combler le fossé qui le sépare;
  • sortir de la marginalité artistique et oeuvrer à la démocratisation de l'art;
  • faire de l'artiste un « agent actif », afin qu'il oeuvre à transformer la culture de consommation de masse en une culture de participation véritablement populaire;
  • repenser le rôle de l'artiste, en vue d'un engagement social et éventuellement politique;
  • intégrer l'art à la vie quotidienne.

Vers la fin de « déclic », en tant que créateur d'environnement, je propose à Pauline Julien et Gérald Godin [qui me rémunéreront pour accomplir cet événement] de célébrer le 131e anniversaire de la victoire des Patriotes à Saint-Denis-sur-Richelieu.

Cette fête populaire intitulée « Les patriotes » — qui réunit le plus grand nombre de créateurs au service d'une intervention ou d'un engagement sociopolitique sur la place publique — eut lieu à l'aréna Paul Sauvé le dimanche 24 novembre 1968. Elle devenait un événement historique d'affirmation de l'identité québécoise au coeur du quotidien.

La Conférence canadienne des arts

Autre grand rassemblement des créateurs québécois en février et en avril 1973, avec ses rencontres de Montréal et du Parlement d'Ottawa.

Au Québec l'exécutif de ce comité se composait de Guy Montpetit président, Maurice Demers vice-président, Gilles Marsolais secrétaire, Jean-André Leblanc trésorier et Pierre Sarrazin relationniste.

Armand Vaillancourt et Ludmilla Chiriaeff furent admis sur le tard.

Au cours de ces rassemblements, les artistes du Québec contestèrent la Conférence.

On réclama alors :

L'établissement d'un Conseil des arts du Québec (qui aurait plein pouvoir quant à la définition et à l'application d'une politique culturelle globale. Voir article ci-joint).

Dans l'atelier interdisciplinaire, on exigeait également, et ça de toute urgence : la création immédiate d'un Front commun des arts et de la culture.

Parmi les sujets les plus discutés au Québec on retrouve :

  • le rapatriement des fonds consacrés à la culture par le gouvernement fédéral;
  • l'intégration du créateur à la société;
  • le statut particulier de l'artiste;
  • l'établissement d'une politique culturelle cohérente et dynamique.

Les artistes contestent la conférence canadienne des arts et réclament un conseil Québécois des arts

Le Front commun des créateurs du Québec

Il fut créé au cours de la Conférence canadienne des arts.

Les États généraux de la culture québécoise

Ils prirent place à la Cité des jeunes de Vaudreuil, les 15-16-17 juin 1973. Le comité exécutif se composait à peu près des mêmes personnes, seule Ludmilla Chiriaeff s'était retirée et Michel Lacombe s'est joint au groupe en tant que secrétaire exécutif.

On a voulu affirmer alors avec force que la culture d'un peuple est sa première richesse naturelle et que le seul investissement sûr d'une nation est celui qu'elle fait dans l'Homme.

Les artistes étaient à ce moment précis de notre histoire une « force de frappe ».

Je simplifie beaucoup ici, en ne mentionnant que quelques-uns des objectifs de ces États généraux.

Les principaux buts des créateurs québécois d'alors furent de :

  • promouvoir et défendre la liberté d'expression et de communication;
  • établir un centre de communication et d'échange entre tous les créateurs;
  • favoriser la participation du plus grand nombre de citoyens aux activités culturelles;
  • agir auprès des pouvoirs publics et privés pour réaliser le plein emploi des forces créatrices du Québec;
  • exiger que le gouvernement du Québec prenne toutes ses responsabilités en matière de politique culturelle;
  • travailler au rapatriement de toutes les sommes consacrées à la culture par les organismes fédéraux;
  • établir et maintenir des contacts avec les organismes similaires à l'extérieur du Québec;
  • utiliser la force de frappe du mouvement chaque fois qu'on porte atteinte à l'intégrité culturelle du peuple québécois et de son patrimoine;
  • lutter contre toute forme d'aliénation;
  • combattre toute forme de censure;
  • faire adopter la Déclaration de l'UNESCO sur les droits culturels en tant que droits de l'homme et en surveiller l'application.

Personnellement je fus vivement impliqué par la suite en tant que membre de la direction du Conseil de la sculpture du Québec et directeur-fondateur du Comité des communications qui publiait la revue Infosculpture.

En septembre 1991, le Gouvernement du Québec choisit le Conseil pour représenter les sculpteurs lors de la Commission parlementaire sur la culture. On a alors fait appel à mon expérience en tant qu'écrivain d'art pour rédiger le mémoire et me présenter au Salon rouge du Parlement en compagnie du président du CSQ Pierryves Angers.

À ce moment, le seul but du mémoire devait consister à tenter de sauver le Conseil de la disparition. Le Ministère des Affaires culturelles de l'époque préférait alors subventionner les Centres d'artistes. Ainsi, avec ses maigres bourses, le CSQ devait végéter par la suite. Y aurait-il eu magouille de la part de certaines instances afin de faire éclater la puissance créatrice de l'ensemble des membres de cette grande association? Chaque centre ou galerie ne possédant qu'un pouvoir extrêmement restreint n'inquièterait donc plus le gouvernement, et ce dernier pourrait tout contrôler à sa guise dans un milieu fragmenté.

Dans le livre La politique culturelle du Québec, Notre culture, Notre avenir, publié en 1992 [voir reproduction ci-jointe], on citait ceci du mémoire en page 68 :

Sans ces femmes et ces hommes qui vouent leur vie à la création artistique, l'art n'existerait pas. Et ainsi appauvrir l'artiste créateur et ne pas miser sur la qualité exceptionnelle de la création d'ici, c'est limiter l'essor de notre culture et nous préparer des lendemains obscurs et incertains.

La politique culturelle du Québec

L'artiste s'est donc mis au service d'une révolution culturelle globale. En voici quelques exemples:

Au parlement d'Ottawa, en 1973, ce sont les membres du Front commun des créateurs du Québec qui ont fait naître l'idée de la souveraineté culturelle du Québec. Par la suite notre premier ministre de l'époque Robert Bourassa, adopta cette recommandation des artistes" nous dit Guy Montpetit. Et la société d'État du Conseil des arts et des lettres du Québec sera créée en 1994 (voir témoignage ci-joint).

Atelier interdisciplinaire

Il est dommage qu'à l'échelle mondiale, les historiens de l'art aient totalement ignoré cette révolution. Car, de toute évidence, nous n'avons pas uniquement métamorphosé le monde artistique, mais également la politique et la société. Cela prive l'histoire de l'art de données essentielles, voire existentielles.

C'est avec nostalgie que j'évoque aujourd'hui cet âge doré de mon pays qui exprimait le respect de l'artiste, la reconnaissance de l'art, la valorisation de la culture et la plus haute estime de notre patrimoine ancestral.

Je constate actuellement :

  • le silence des médias de masse envers les artistes, leurs oeuvres, voire les arts visuels en général;
  • que l'on néglige également d'inscrire dans la mémoire collective, les noms de nos grands créateurs;
  • que dans le monde de la culture on parle davantage de coupure;
  • que les protecteurs du patrimoine sont, la plupart du temps, devenus des fossoyeurs;
  • que s'il y a près d'un demi-siècle la culture était entre les mains des artistes, aujourd'hui elle est malheureusement sous le contrôle des gestionnaires.

La politique culturelle du Québec, notre culture, notre avenir

Maurice Demers
Janvier 2011