La fabuleuse construction d’espaces sacrés

La fabuleuse construction d’espaces sacrés

« Le sacré équivaut à la puissance et, en définitive, à la réalité par excellence. Le sacré est saturé d’être. Puissance sacrée, cela dit à la fois réalité, pérennité et efficacité »

Mircea Eliade

 

Toute ma vie influencé par l’acte commun des grands rituels, où apparût l’étincelle de la pensée symbolique qui donna naissance à l’art, j’ai désiré créer des célébrations sacrées.

Librement, j’ai ainsi erré dans les chaudes ruelles et sur les froids trottoirs des quartiers urbains de nos cités, à la recherche de communion intense entre les humains. J’y ai alors fait la grande découverte que l’art pouvait devenir une ultime présence au monde. Au beau milieu des années 1960, à travers le vécu des drames quotidiens, il fallait défricher, ce qui ferait partie des premiers archétypes de l’art contemporain. Et là, rien ne serait insignifiant.

L’institution de tels lieux, sous forme d’environnements originaux, générerait donc des actions douées de sens. Ce milieu d’art devait, en effet, engendrer de grandes fresques vivantes, dévoilant ce qui hante les tréteaux de l’inconscient collectif de notre ethnie. Lors de rites où l’on jouera sa vie, plus personne ne sera victime. Ce sera l’heure d’une mutation profonde, sur les plans humain, artistique, culturel, voire politique.

Cela dit, la redécouverte de l’espace sacré permet l’entière plénitude de l’être. Elle révèle une valeur existentielle. Depuis que le territoire humain s’est désacralisé, voire dénaturé, il s’est, au même moment, déshumanisé. Cela équivaut à un non-être absolu. Le sacré dont il est question ici, s’oppose au sacré conventionnel. Quoique tout à fait spirituel, il n’est nullement relié à une quelconque religion. C’est un sacré naturel, lié à la situation de l’être humain dans le monde. Il est, avant tout, ce qu’il y a de plus important au sein de ce qui se vit dans la cité intérieure de l’individu, son premier environnement. D’ailleurs, seul le sacré est authentiquement porteur de sens. Très terre à terre, il est intimement relié ici à la quotidienneté. Permettant tout aussi bien une transprésence, il rend visible l’invisible. Dépassant les apparences et s’opposant à la banalité quotidienne, ce temps et cet espace primordiaux dévoilent une réalité « autre », révélant ainsi les structures profondes de notre univers. Ils sont rassembleurs, c’est-à-dire créateurs de liens nouveaux et rejoignent à la fois le « temps festif » originaire.

Au sein de ces lieux inexplorés, au coeur de notre révolution tranquille, c’est-à-dire dans les années 1960 et 1970, nous avons vécu de nouvelles naissances qui permirent aux femmes et aux hommes de ce temps d’accoucher de cette essence qui habitait au plus profond d’eux-mêmes. En ce début d’un temps de culture active, bon nombre de gens ont réalisé le passage de l’état de spectateur, à celui d’acteur, de cocréateur et d’authentique créateur. Au sein de certaines communautés, notre peuple a ainsi révélé son identité. En libérant la parole et le geste, tous ces participants ont collaboré à tracer notre destinée. De neuves pratiques artistiques sont apparues alors, elles ont provoqué un rapport au monde inédit à travers une suite d’expériences originales. Un tel agir a engendré un printemps nouveau, en ce qui concerne l’ère créative et démocratique, dans laquelle nous vivons présentement. On a ainsi oeuvré à recréer ce qui se vit, au même titre que l’homo sapiens du « temps du rêve » qui, par l’acte créateur, réintégrait périodiquement la cosmogonie. « L’installation dans un territoire équivaut à la fondation d’un monde » nous a encore dit Mircea Éliade.

En découvrant de tout temps l’énigme cachée sous le vivant, l’artiste fixe les modèles exemplaires et rejoint de la sorte, les valeurs primordiales de l’humanité. Depuis environ 275 000 ans, le sacré et le symbolique déterminent les stades d’évolution du genre humain. Et c’est approximativement il y a 40 000 ans que l’on vécut le plus important éclatement qu’est l’état de conscience de la création artistique. Cela s’est manifesté, en grande partie, dans les premiers environnements que furent les cavernes, ces espaces sacrés nommés « Cathédrales de la préhistoire ».

Maurice Demers
Mars 2012