Un congrès insolite d’éducateurs

Un désordre organisé pour en arriver à un nouvel ordre...

Un congrès insolite d’éducateurs« Apprentissage » © Photos Réal Filion

On s’est donné, au cours des dix dernières années, des structures, un système administratif de l’éducation au Québec. On a cependant oublié de parler de pédagogie et on a pas encore remis en question nos moyens d’apprentissage.“ Voilà ce qu’a déclaré, hier, M. Maurice Demers, créateur du pavillon “L’insolite“ à Terre des Hommes, de “Futuribilia“ et de cinq productions théâtrales dont « Femme » qui a tenu l’affiche du Centre national des arts, à Ottawa. M. Demers croit, par ailleurs, que les modes de communication habituels sont inaptes à traduire l’avenir de l’éducation. L’Association d’éducation du Québec (AEQ) a confié à M. Demers la tâche de faire de la conférence québécoise sur l’éducation, qui se tiendra les 10, 11 et 12 septembre, au Centre culturel de la Cité des Jeunes de Vaudreuil, un bain de “36 heures dans un environnement éducatif“ . C’est dans l’environnement du sous-sol de son domicile, où se côtoient harmonieusement les masques de scaphandriers, les boîtes à conserve vides, les rouleaux de broche, des têtes de squelette, les boyaux d’aspirateurs et maints autres objets du même acabit, que M. Demers a expliqué aux journalistes les techniques qu’il compte employer pour créer un environnement éducatif durant la conférence québécoise sur l’éducation.
Tandis que se tiendront ici et là (80 unités ou minienvironnements) des “ateliers d’apprentissage“ - personne ne pourra se prévaloir des titres de conférenciers ou d’auditeurs – se déroulera sur la grande place un théâtre où les acteurs seront appelés à déposer leurs masques et à confronter leurs opinions avec celles de quiconque en manifestera le désir. M. Demers a cependant ajouté qu’il ne s’agit pas d’une pure improvisation. Il y aura des parties organisées et des parties ouvertes dans le théâtre qui se tiendra sur la place publique. “En s’insérant dans le jeu, a-t-il dit, les gens pourront transformer l’oeuvre. La foule peut enrichir, transformer, ou corriger le message déjà inscrit dans la structure de la pièce.“ “Il s’agit, a-t-il ajouté, de regarder la société globalement pour trouver une réponse globale. Du choc des expériences et des préoccupations jailliront des orientations quant au mode d’apprentissage dont nous avons besoin aujourd’hui.“ “Une nuit sur la place“ a également été organisée pour la nuit de samedi à dimanche. Le tout débutera vers 21 heures par le “défilé du grand cirque québécois“ . Un programme de spectacles variés sera présenté tout au cours de la soirée pour se terminer par “la fête“ vers trois heures dimanche matin.
Si au cours de la journée on aura insisté sur la participation et l’apprentissage, la nuit sera surtout axée sur le divertissement, la détente et l’humour, sur le cirque et la fête. Les organisateurs de la conférence ont déjà reçu 1,500 demandes d’inscription sur un total possible de 2,000. Parmi les artistes qui participeront à ces “36 heures d’environnement éducatif“ on remarque les chanteuses Pauline Julien et Louise Forestier, le poète Raoul Duguay, la troupe de Jacqueline Barrette, les majorettes de Vaudreuil, les zouaves de Valleyfield. La famille Soucy, Pierrette Doray et son piano-bar et plusieurs ensembles pop.
Tous les titulaires du poste de ministre de l’Éducation depuis sa création au Québec, seront de la partie, et M. Saint-Pierre y prononcera sa conférence de la rentrée scolaire. Qu’adviendra-t-il de ce tout plutôt hétéroclite et à première allure peu structuré? Encore plus de désordre dans notre monde de l’éducation déjà passablement bouleversé? Voici ce qu’en pense M. Demers.
“L’éducation est ici remise en cause, chaque individu est appelé à devenir comédien de sa propre réalité. Il s’agit de créer un désordre organisé dans le but d’arriver à un nouvel ordre. Des gens de toutes les couches de la société seront appelés à témoigner de la façon dont ils ont appris à vivre : est-ce l’école, dans la rue ou à travers de multiples expériences vécues? Les nouveaux phénomènes socioculturels qui surgissent actuellement, laissent-ils présager une nouvelle ère où l’avoir plus sera supplanté par l’être plus, où l’éducation ne sera plus axée sur l’accumulation des connaissances mais plutôt sur la conquête de l’état d’éveil“ .

Gérald LeBlanc
Le Devoir, 31 août 1971.