La planète future de Maurice Demers

La planète future de Maurice Demers« Futuribilia » © Photos et montage Maurice Demers

Avec l’avènement de l’ère spatiale, avec la révolution électronique, l’environnement est en pleine mutation. S’en rend-on compte? À peine puisque nous subissons — le plus souvent comme un traumatisme continu — cette évolution d’une année à l’autre, d’un mois à l’autre, d’une heure à l’autre. Il y en a parmi nous qui sont conscients de ce phénomène et qui voudraient nous faire toucher du doigt cet environnement en fluctuation. Le montréalais Maurice Demers est de ces novateurs. Il s’inquiète. Il cherche. Il veut nous projeter aujourd’hui dans une réalité de demain. Il joue au prophète avec les matériaux et les idées du jour. De quoi l’avenir sera-t-il fait? Il nous expose des solutions dans son atelier de la rue Saint-André. Avec une faiblesse inhérente à l’esprit humain : l’impossibilité de prévoir l’imprévisible... Demers a donc créé deux espaces en n’oubliant pas dans l’un d’eux qu’il est sculpteur. Mais ses créations il les a conçues dans un milieu intérieur et à l’échelle humaine bien qu’il ait cherché à dépasser ces fonctions par des prolongements musicaux et lumineux.
Futuribilia, c’est le nom de la planète à Demers. Axée sur un monde de demain. Première création, la plus déroutante, un espace tendu de blanc éclairé à la lumière noire qui diffuse une fluorescence dénaturée et qui introduit une atmosphère vaporeuse d’outremonde.
Au sol, une table dont les mouvements cinétiques imprimés par le visiteur déroutent la raison et le corps. Un espace qui est encore une vue de l’esprit. Seconde création. Un autre espace, en rouge, peuplé de gadgets électroniques et psychédéliques. Pour suivre la mode ou pour résoudre une inquiétude? Espace dont on prend possession immédiatement, car il est habité de notions qui nous sont déjà familières, mais qui seront monnaie courante demain. Une capsule spatiale monoplace, un engin amovible tout-terrain avec conduite électronique et robot adjacent, divers objets automatistes, un réseau de tubes de verre éclairés à revers donnant des reflets ondoyants, une musique à caractère sériel accompagnée d’un bruitage d’atterrissage planétaire, un éclairage de soleils rouges... Autant de manifestations d’un monde qui est d’ores et déjà sinon à l’exploration de fait, du moins à l’imagination d’un nouvel environnement à venir mais avec des notions déjà conçues par l’homo spatialis. De toute façon. Futuribilia est une féérie à vivre que Demers nous propose. Suivons la démarche du créateur : elle nous mènera au XXIe siècle et à la conquête de cette nouvelle Amérique qu’est l’espace.

Jacques de Roussan
Vie des arts, numéro 51-ÉTÉ 1968